• Pétition des travailleurs de Saint-Pétersbourg du 9 janvier 1905

    Voici le texte intégral et définitif de la "pétition" (traduit du russe par Voline) :
    Nous, travailleurs de Saint-Pétersbourg, nos femmes, nos enfants et nos parents, vieillards sans ressources, sommes venus à Toi, ô Tzar, pour te demander justice et protection.
    Nous sommes réduits à la mendicité. Nous sommes opprimés, écrasés sous le poids d'un travail épuisant, abreuvés d'outrages. Nous ne sommes pas considérés comme des êtres humains, mais traités en esclaves qui doivent subir en silence leur triste destin. Patiemment, nous avons enduré tout cela. Mais voici qu'on nous précipite maintenant tout au fond de l'abîme où seuls l'arbitraire et l'ignorance nous seront réservés. On nous étouffe sous le poids du despotisme e! d'un traitement contraire à toute loi humaine.
    Nous sommes à bout de forces, o Tzar ! Le moment décisif est venu où, vraiment, la mort vaut mieux que la prolongation de nos intolérables souffrances. Voilà pourquoi nous avons cessé le travail et informé nos patrons que nous ne le reprendrons pas avant qu'ils n'aient souscrit à nos justes demandes.
    Ce que nous leur avons demandé est peu de chose, et pourtant, sans ce peu de chose notre vie n'est pas une vie, mais un enfer, une éternelle torture.
    Notre première requête demandait à nos patrons de vouloir bien se rendre compte, d'accord avec nous de nos besoins. Et ils ont refusé cela ! Le droit même de discuter nos besoins nous a été contesté sous prétexte que la loi ne nous reconnaît pas ce droit.
    Notre demande de la journée de huit heures a été rejetée aussi comme illégale.
    Nous avons demandé ensuite la fixation, de concert avec nous, de nos salaires ; l'arbitrage, en cas de malentendus entre nous et l'administration intérieure de l'usine ; l'élévation à un rouble par jour des salaires des manœuvres, hommes et femmes, la suppression des heures supplémentaires ; une mise en état des ateliers, de sorte que le travail n'y entraîne pas la mort à la suite des courants d'air, de la pluie et de la neige... Nous avons demandé aussi plus d'égards pour ceux qui tombent malades ; et aussi que les ordres qu'on nous donne ne soient pas accompagnés d'injures.
    Toutes ces demandes ont été rejetées comme contraires à la loi. Le fait même de les avoir formulées a été interprété comme un crime. Le désir d'améliorer notre situation est considéré par nos patrons comme une insolence à leur égard.
    O Empereur ! Nous sommes ici plus de 300.000 êtres humains. Et, cependant, nous tous ne sommes des êtres humains qu'en apparence. Car, en réalité, nous n'avons aucun droit humain. Il nous est interdit de parler, de penser, de nous réunir pour discuter nos besoins, de prendre des mesures pour améliorer notre situation. Quiconque parmi nous ose élever la voix en faveur de la classe ouvrière est jeté en prison ou exilé. Avoir un bon coeur, une âme sensible, est considéré comme un crime. Faire preuve de sentiments de fraternité à l'égard d'un malheureux, d'un abandonné, d'une victime, d'un déchu, est un crime abominable.
    0 Tzar ! Cela est-il conforme aux commandements de Dieu en vertu duquel Tu règnes ? Sous de telles lois, la vie vaut-elle d'être vécue ? Ne serait-il pas préférable pour nous tous, travailleurs russes, de mourir, laissant les capitalistes et les fonctionnaires vivre seuls et jouir de l'existence ?
    Tel est, Sire, l'avenir qui nous attend. Et c'est pourquoi nous sommes assemblés devant les murs de Ton palais. Nous espérons trouver, nous attendons ici l'ultime planche de salut. Ne refuse pas d'aider Ton peuple à sortir du gouffre des hors-la-loi où il n'y a que misère et ignorance. Donne-lui une chance, un moyen d'accomplir sa vraie destinée. Délivre-le de l'intolérable oppression des bureaucrates. Démolis la muraille qui Te sépare de lui et appelle-le à gouverner le pays conjointement avec Toi.
    Tu as été envoyé ici-bas pour conduire le peuple au bonheur. Mais, lambeau par lambeau, le bonheur nous est arraché par tes fonctionnaires qui ne nous réservent que la douleur et l'humiliation.
    Examine nos demandes avec attention et sans colère. Elles ont été formulées, non pas pour le mal, mais pour le bien, pour notre bien, Sire, et pour le Tien. Ce n'est pas l'insolence qui parle en nous, mais la conscience de la nécessité générale qu'il y a d'en finir avec l'actuel et insupportable état de choses.
    La Russie est trop vaste, ses besoins sont trop multiples pour qu'elle puisse être dirigée par un gouvernement composé uniquement de bureaucrates. Il est absolument nécessaire que le peuple y participe, car seul il connaît ses besoins.
    Ne refuse donc pas de secourir Ton peuple, Donne, sans retard, aux représentants de toutes les classes du pays l'ordre de s'assembler. Que les capitalistes et les ouvriers soient représentés. Que les fonctionnaires, les prêtres, les médecins et les professeurs choisissent aussi leurs délégués. Que tous soient libres d'élire qui leur plaît. Pour cela, permets qu'il soit procédé aux élections d'une Assemblée Constituante sous le régime du suffrage universel .
    Telle est notre principale demande dont tout dépend. Ce serait le meilleur, le seul vrai baume pour nos blessures ouvertes. Faute de rappliquer, elles resteront béantes et nous acculeront a la mort.
    Il n'y a pas de panacée pour tous nos maux. Plusieurs remèdes sont nécessaires. Nous allons maintenant les énumérer. Nous Te parierons franchement, Sire, à coeur ouvert, comme à un père.
    Les mesures, suivantes sont indispensables.
    Dans le premier groupe figurent celles contre l'absence de tous droits et l'ignorance dont souffre le peuple russe. Ces mesures comprennent :
    La liberté et l'inviolabilité de la personne ; liberté de la parole, de la presse, d'association, de conscience en matière de religion ; séparation de l'Église et de l'État.
    Instruction générale et obligatoire aux frais de l'État.
    responsabilité des ministres devant la nation ; garanties pour la légalité des méthodes administratives.
    Égalité de tous les individus, sans exception, devant la loi.
    Élargissement immédiat de tous ceux qui ont souffert pour leurs convictions.
    Dans le second groupe se trouvent les mesures contre le paupérisme :
    Abolition des impôts indirects. Un impôt sur le revenu direct et progressif.
    Abrogation des redevances pour le rachat des terres. Crédit à bon marché. Remise graduelle de la terre au peuple.
    Le troisième groupe comprend les mesures contre l'écrasement du travail par le capital :
    Protection du travail par la loi.
    Liberté des unions ouvrières établies dans le but de coopération et pour régler les questions professionnelles.
    Journée de travail de huit heures ; limitation des heures supplémentaires.
    Liberté de lutte entre le travail et le capital.
    Participation des représentants des classes laborieuses à l'élaboration d'une loi sur les assurances d’État pour les travailleurs.
    Salaire normal.
    Voilà, Sire, nos principaux besoins. Ordonne qu'ils soient satisfaits. Jure-nous qu'ils le seront, et Tu feras la Russie heureuse et glorieuse, et Ton nom sera inscrit à jamais dans nos cœurs, dans les cœurs de nos enfants et dans ceux des enfants de nos enfants.
    Mais si Tu ne nous donnes pas Ta promesse, si Tu n'acceptes pas notre pétition, nous sommes décidés à mourir ici, sur cette place, devant Ton palais, car nous n'avons nulle part où aller ni aucune raison pour nous rendre ailleurs. Pour nous, il n'y a que deux chemins : l'un conduisant à la liberté et au bonheur ; l'autre, à la tombe. Indique-nous l'un de ces chemins, ô Tzar, et nous le suivrons, dût-il nous mener à la mort.
    Que nos vies soient un holocauste pour la Russie agonisante : nous ne regretterons pas le sacrifice. Avec joie, nous les offrons.


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